Une commune minuscule
La Ferrière-sur-Risle occupe 24 ha, l'équivalent des Buttes Chaumont à Paris. C'est la cinquième plus petite commune de France, la plus petite de Normandie.
Ses habitants (qui furent jusqu'à 600 au XIXe siècle : 2500 hab./km², une ville !) y ont construit au fil du temps des édifices variés représentatifs de tous les modes de construction normands.
Plan cadastral de La Ferrière-sur-Risle, 1855 (Arch. dép. Eure)
Un espace organisé…
Cet espace s'organise autour des deux pôles de la vie sociale de jadis : la halle et l'église, à peu près dans l'axe l'une de l'autre. Elles sont aujourd'hui sensiblement de même taille (environ 300 m²) et de même proportions mais, jusqu'au milieu du XIXe siècle, la halle était plus longue des deux tiers : elle occupait près de 0,25 % de la commune.
L'activité industrielle en occupe les extrémités : au sud le haut-fourneau, au nord les tanneries et, entre deux, le moulin à blé. Un moulin à tan a également fonctionné, peu en amont du haut-fourneau, sur le vannage au point de dérivation du canal usinier.
Fourneau et tanneries sont implantés sur le bras dérivé de la Risle : l'un a besoin de l'eau comme force motrice, l'autre pour le rinçage des peaux. La tannerie est en aval en raison de la pollution qu'elle crée, sa situation au nord-est, sous le vent dominant d'ouest, évite en outre la diffusion des odeurs sur le village. Chacun de ces pôles a suscité dans son environnement immédiat la construction d'un habitat spécifique.
Le centre ville
Les maisons des commerçants et artisans sont densément groupées autour de la halle et de l'église. C'est dans le bloc entre l'une et l'autre que subsistent les maisons les plus anciennes sur des parcelles étroites. Sur le pourtour, les parcelles sont également étroites mais étirées en longueur, selon un schéma « en peigne ».
La ligne des maisons du centre était percée de ruelles, dont plusieurs ont aujourd'hui disparu, pour donner à chacun accès à l'eau.
Les quartiers de l'industrie
Autour des industries et de leurs logements patronaux, se sont constitués au XIXe siècle des quartiers affectant un caractère plus citadin et volontiers bourgeois qui se traduit dans l'urbanisme par la plantation de la majestueuse avenue des Tilleuls.
Au XVIIIe siècle, Mattard, maître de forge, possédait rue de la Grève une maison en colombages. Elle était « en ruine et inhabitable » quand, en 1828, le notaire Alexandre Guinier en fit l'acquisition. Il y édifia peu après une maison en briques avec chaînages de pierres qui demeura celle du notaire jusqu'au XXe siècle et qu'Alfred Swieykowski a représentée sur ce tableau.
Les faubourgs
La rue du Pont-Ménage est l'ancienne voie d'entrée dans La Ferrière en descendant du plateau. Un groupe d'habitat s'est formé dans cette entrée de bourg, avant la traversée du bras dérivé. Les constructions qui y subsistent attestent de l'ancienneté de ce faubourg. C'est aujourd'hui le quartier le plus pittoresque de La Ferrière.
Deux rues sont parallèles au centre ville, la rue de Palmyre (ce nom est une énigme) et la rue des Forges qui longe le bras principal de la Risle. Plusieurs habitations s'y trouvent déjà en 1855, du côté de la rivière (toujours l'accès à l'eau...). Il est possible que ce nom lui vienne des petites forges où des artisans, profitant de la proximité des usines d'affinage, exploitaient des ateliers de taillanderie ou quincaillerie.
La rue Jean Pothin, entre l'église et le pont sur la Risle, était nommée jusqu'au XXe siècle la rue aux Juifs, appellation qui révèle l'intensité du négoce médiéval. On la voit déjà densément construite au milieu du XIXe siècle.
Les terrains au nord sont longtemps restés vides de constructions car inondables. Cette situation a été améliorée après 1911 par la création d'un canal de dérivation du bras principal pour lui faire rejoindre le canal plus en aval, sur le territoire de La Houssaye. Le réseau routier a également été modifié : la route de La Houssaye qui faisait suite à la rue de Palmyre, a été déplacée dans l'axe du centre ville tandis qu'un contournement du bourg était tracé en reprenant la partie nord de la rue des Forges. Ces transformations ont permis la création sur cette zone d'une « banlieue » au XXe siècle.
Hors les murs
Le territoire de la Ferrière est si petit que pour se conformer enfin, en 1864, aux instructions prescrivant de déplacer les cimetières hors des bourgs, « au moins à 35 ou 40 m de leur enceinte » (décret impérial du 12 juin 1804), la commune acquit un terrain... à Ajou, sur l'autre rive de la Risle, les terrains disponibles sur la commune étant inondables.
À l'emplacement du ferrier, le sol est encore constitué de « cline » (nom local du laitier ou scories) bleue, couleur du laitier issu de la métallurgie au bois, plus ou moins foncée selon le degré d'affinage.
En 1881, le peintre Pierre Teyssonnières a présenté au Salon un tableau « La Butte des clines à La Ferrière-sur-Risle » qui n'est plus connu que par la gravure. Le personnage à gauche montre la hauteur du terril.
Le ferrier du haut-fourneau (le terril où on entassait les scories) se trouvait immédiatement en aval du vannage mais rive gauche, donc à Ajou ; ce terrain est propriété de la commune. En 1813, le maire décrit les habitants de la Ferrière « presque ensevelis au milieu des décombres qui sortent de ses forges et fourneaux, qui forment des amas énormes connus sous le nom de cline ou laitier et qui de tous côtés interceptent la circulation de l'air ». Vers 1920, ce ferrier a été vendu à un entrepreneur de Conchez qui l'a utilisé, broyé, dans ses mortiers et ciments. On trouve des morceaux de cline un peu partout à la Ferrière.
… riche d'un patrimoine prestigieux…
Le visiteur entrant à La Ferrière par le nord voit d'abord cette encore immense halle. On la dit du XIVe siècle, elle est peut-être plus tardive mais certainement pas postérieure au XVIe siècle.
Séparée de la halle par un bloc de maisons anciennes, l'église dresse au-dessus du village un clocher que son sobre style gothique date assurément du XIIIe siècle.
Elle abrite un riche mobilier qui atteste de la prospérité du village aussi longtemps que l'industrie y fut active.
… et d'une architecture variée et cohérente
Le dense bâti qui entoure ces édifices emblématiques raconte une histoire originale : maisons bourgeoises et habitats ouvriers, commerces enfin, groupés autour de la halle, où s'approvisionnaient tant ces « citadins » que les populations rurales des alentours. On y retrouve tous les modes de construction usités en Normandie au fil du temps.
L'absence de constructions agricoles, hormis des bâtiments de service et remises dans les jardins est éloquente : cet espace resserré est un îlot urbain. Sa fonction était celle d'un centre industriel et commerçant, en fait le centre bourg des villages ruraux qui l'entourent. C'est toute sa singularité.
